Petite ballerine
Assise devant la cheminée, une tasse de thé bien chaude à la main je le regarde. Il se tourne vers moi, me sourit… j’aime son sourire. Je ferme les yeux, les souvenirs remontent à la surface, une larme coule doucement. Je sens une main me caresser la joue et des lèvres se poser délicatement. Mes paupières s’ouvrent, il rit… ses yeux sont magnifiques. Nous avions passé toute la journée dehors dans le parc, il faisait un temps splendide. Malgré le vent, le soleil rayonnait et réchauffait mon visage, une jolie couleur rouge colorait mes joues. En ce mois de Décembre, la ville était recouverte d’un joli manteau blanc, c’était splendide ! Il marchait dans la neige, les cheveux au vent, sa joie de vivre me rendait heureuse. Et pourtant…
Quatre ans plus tôt… 2012, je m’appelle Elena Denali, 24 ans. J’occupe un petit appartement au sixième étage d’un immeuble en plein centre de Paris. Paris… c’est la ville lumière, la Tour Eiffel, le Moulin Rouge, la Pyramide du Louvre et la ville la plus romantique…j’adore la danse et j’ai aujourd’hui la chance d’en faire mon métier, ballerine à l’Opéra de Paris. Tous ces petits fourmillements au bout des doigts et des pieds juste avant d’entrer sur scène, cette sensation de voler lorsque les pas s’enchainent et les applaudissements qui résonnent dans la tête à la fin du spectacle, étaient pour moi des instants magiques. Pour en arriver là, il a fallut des heures de travail et d’acharnement. La danse demandait beaucoup de rigueur. Assise sur un fauteuil dans la salle, j’observe les ballerines répéter. Elles dansent avec grâce tel des cygnes. Puis arrive l’entrée des petits rats d’opéra, ces petites danseuses en tutu exécutant minutieusement les unes après les autres leurs pas. 22h, les répétitions sont terminées, mes pieds me font mal, il est temps pour moi de rentrer. Je passe dans les loges récupérer mes affaires. Une rose rouge est posée sur mes chaussons. Je suis surprise. La fleur sent extrêmement bon. Qui a bien pu me l’offrir ? Mystère…
Nous sommes maintenant à 1h de l’ouverture du rideau. Nous faisons une dernière répétition. Le grand moment est arrivé, apparemment il y a beaucoup de monde dans la salle. Mes mains tremblent, je sens l’adrénaline monter en moi, je suis toute excitée. Le rideau s’ouvre, le spectacle peut enfin commencer. Je m’élance… sous les projecteurs je ne vois personne autour de moi, je suis seule sur scène… j’effectue les mouvements… je me sens envahir par la musique, j’accompagne les notes pas à pas… puis pointes… et tours sur moi-même, je me sens légère. Petit à petit, les danseurs font leur entrée, nous enchainons la chorégraphie avec des portées. Les costumes sont magnifiques et les décors féeriques. Le spectacle aura durée 2 heures. Nous saluons le public, les applaudissements n’en finissent pas, certains se lèvent même de leur siège pour nous féliciter.
Epuisée mais excitée par la représentation, tout ce que je souhaitais c’était retrouver mon lit, m’effondrer sur ma couette et dormir, voila ce que je désirais à ce moment là. Je me change, me démaquille mais je ne remarque pas cette petite boite posée dans le coin. Intriguée, je l’ouvre délicatement… un magnifique bijou y était déposé. Il s’agissait d’un pendentif en cristal, taillé en forme de goutte d’eau. De couleur bleu nuit, il donnait des reflets verts en présence de lumière. Subjugué, je ne peux décrocher mes yeux. Et encore cette question : qui a bien pu m’offrir ce bijou ? Un admirateur secret ? Une enveloppe accompagnait le coffret. A l’intérieur, cette phrase :
«Vivre et aimer sans attendre… »
Minuit passée, dans la nuit noire, je repense à cette soirée et à ce mystérieux cadeau. Quand au loin j’aperçois une silhouette, un homme se tient debout devant moi sur le trottoir…je ne vois pas son visage… il est grand et musclé… une brise légère me fait parvenir un parfum exaltant et ensorcelant. Je suis troublée, je veux rebrousser chemin mais mes jambes ne m’obéissent pas. Soudain, un murmure au creux de mon oreille… les battements de mon cœur se bousculent… la panique me submerge, je me retourne mais il n’y a personne…regardant à nouveau devant moi, il avait disparu… Impossible de dormir, je repense à cet homme, cette voix si troublante, et cette odeur si envoutante vous donnant l’envie soudaine de vous laisser porter...
Réveil après une nuit blanche, je n’arrive pas à me concentrer sur scène, toute la journée je repense à ce moment si intense et effrayant à la fois, que faisait cet homme à une heure aussi tardive dans la rue ? Que me voulait-il ? Je suis tellement troublée que j’en oublie totalement l’enchaînement de mes pas. Ce soir j’ai rendez-vous avec des amis, cela me changera peut-être les idées. Tout au long de la soirée je suis absente, le regard perdu au loin, et je vois bien que mes amis se posent des questions. Je rentre chez moi avec qu’une idée en tête : revoir ce mystérieux inconnu… mais cette nuit là, rien.
La semaine passe et aucune nouvelle rencontre. Je me retourne à chaque coin de rue, mon cœur tambourine dans ma poitrine à chaque fois que j’entends des pas derrière moi. Assise sur le canapé, sa douce voix repasse sans cesse dans ma tête tel un disque de musique, ses intonations musicales me berce quand j’y repense.
La clef verrouille la porte, mon casier est fermé, je sors de l’opéra, je souhaite me racheter une tenue pour les entrainements et faire quelques achats de Noël.
Songeuse, je me retrouve devant la voiture… lorsque je sens de nouveau l'étrange caresse… envoûtée par ce souffle, je suspends tout mouvement, de peur de l'interrompre … le souffle haletant, ma poitrine me fait mal et me brûle les poumons. Je n’ose me retourner de peur de perdre ce moment. Il prononce mon nom… mon cœur explose… je me sens défaillir, ma vue se trouble, je ferme les yeux. Je me tourne sans les ouvrir de crainte qu’il n'y ait personne près de moi. Son souffle sur mes lèvres, j’entrouvre mes paupières… nos regards se croisent. Je plonge dans ses yeux d’un bleu intense, une larme coule sur ma joue. Ses doigts viennent effleurer mon visage, il me sourit. Un sourire en coin… quelle charme envoutant, qui pourrait résister ? Je me blottis contre lui, nos cœurs battent à l’unisson.
Nous restons là, sans bouger pendant plusieurs minutes. Il me murmure des mots doux… Il se détache doucement de moi, je le regarde et je ne peux me décrocher de lui. Il recule… prononce mon nom, je m’avance dans sa direction mais il s’éloigne de plus en plus… je cours d’avantage… il me distance… je n’arrive pas à le rattraper… Pourquoi fait-il cela ? Je tends le bras… il est déjà loin à présent… je m’écroule par terre et hurle de douleur…
Des perles de sueur parsèment mon front, mes mains tremblent, je viens de me réveiller dans mon salon… je suis effondrée… alors ce n’était qu’un rêve… je pleure toutes les larmes de mon corps. Je me lève et sort de l’appartement, courant dans les rues à en perdre haleine, je le cherche. Mes pas foulent le pavé, j’ai froid, mes pieds me font souffrir mais je ne veux pas m’arrêter. Soudain mes jambes se stoppent, elles ne me portent plus, je tombe au sol. Je tiens mon visage entre mes mains. Lorsque quelqu’un me soulève, je relève la tête… Un parfum entêtant viens me chatouiller les narines… ma main devant la bouche, j’en ai le souffle coupé… je la pose sur son torse, c’est lui.
Il me fixe, je le dévisage… Grand, cheveux noirs, des yeux bleus nuits… captivant !
« - Qui êtes-vous ?
- Le bijou vous a plu à ce que je vois, dit-il calmement
- Alors c’était vous ce cadeau, je suppose que la rose aussi ?
- Oui c’était moi.
- Vous auriez pu vous présenter à moi, je ne connais même pas votre nom ?
- John… mon nom est John »
Il se penche vers moi et commence à m’embrasser dans le cou. Je n’ai pas le temps de l’éviter et de dire quoi que ce soit, que je suis déjà sous l’emprise délicieuse de ses baisers. Nous rentrons tous les deux à l’appartement. Chaque moment fut un délice. Cette nuit là fut magique. Au petit matin, je me sentais bien, légère, posé. Je le regarde dormir, l’embrasse sur la joue puis sors de la chambre. Une tasse de café à la main je regarde par la fenêtre du salon, les rayons du soleil traverse la vitre et me réchauffe le visage. Je n’échangerais ces moments pour rien au monde, je voulais figer cet instant de bonheur pour le conserver dans un coin de mon cœur pour l’éternité.
Il avait bouleversé ma vie, je souhaitais qu’il reste à mes côtés pour toujours. Mais le destin en avait décidé autrement…
Quelques semaines après cette nuit-là, alors que je commençais à vivre, tout s’était écroulé.
Tard dans la nuit, le téléphone retentit. C’était la police, ils m’annoncent la mort de John dans un accident de voiture. Le combiné tombe au sol, je n’ose croire ce que je viens d’entendre. Et s’il s’agissait là encore d’un rêve. Mais non…aucun son ne sort de ma bouche, je suis obligé de m’asseoir sur la chaise du salon, restant là quelques minutes, à regarder le sol. Puis prise soudain de colère, je renverse tout ce qu’il y a sur la table, les livres de la bibliothèque sont éparpillés dans la pièce, les rideaux sont arrachés. J’hurle « Pourquoi ? Pourquoi moi ? » Je m’effondre sur le tapis, recroquevillé sur moi-même, je pleurs. Ma vie, mon avenir s’effondre…
Un soir, le téléphone sonne, je décroche.
« - J’ai appris la nouvelle… tu tiens le coup ?
- Je… J’ai l’impression de l’entendre constamment, dis-je en pleurant. Je ne peux pas continuer Maria, je ne tiendrais pas. »
Quatre ans plus tard…« - Lucas, on va rentrer mon chéri, il commence à faire nuit.
- J’arrive maman, encore 5 minutes, je finis mon bonhomme de neige » me dit-il en souriant.
Il a ses yeux et ses expressions… je retrouve John à travers Lucas. Parfois je repense à ces merveilleux moments passés avec lui… la vie ne tient qu’à un fil…mon petit cœur se serre mais heureusement mon fils me fait tenir bon. J’ai arrêté la danse et vendu l’appartement après la naissance de Lucas. Le pendentif qu’il m’avait offert ne me quitte jamais et régulièrement nous allons déposer une rose rouge sur sa tombe. Nous vivions tous les deux à présent dans une maison loin du centre ville, besoin d’un espace plus grand, de tourner la page et de commencer une nouvelle vie.
Assise devant la cheminée, une tasse de thé bien chaude à la main je le regarde. Il se tourne vers moi, me sourit… j’aime son sourire.